Il est 10h00. J’observe le ciel, les toits, la rue… Un bus passe. Aucun piéton. La rue est vide. Même le ciel est vide : où sont passés les oiseaux ? Mais qu’est-ce que je fais là ?
Je suis au chaud derrière la baie vitrée. Si seulement elle donnait sur une plage, que sais-je, un lieu paradisiaque et brûlant, si la vue était vaste et plaisante , je ne serais pas en train de me demander ce que je fais là.
10h02. Ce n’est pas possible ! Leur horloge s’est arrêtée ! C’est une horloge digitale, je n’ai même pas le loisir de voir la trotteuse avancer et me donner l’illusion que le temps n’avance pas si lentement. Toujours 10H02. En fait, c’est long une minute. Qu’est-ce que c’est long !
Ouf! 10h03. La machine m’encourage : fin de l’exercice dans 17 minutes. Oui, je sais, c’est un peu léger, 20 minutes de vélo, mais c’est comme un bon repas : si on en prévoit trop, on ne finit pas. Enfin, je dis ça… Ce n’est pas tout à fait vrai. Si je suis là sur mon vélo à pédaler comme un automate, c’est bien justement parce que je les finis toujours mes repas !
10h05. Tiens ! J’ai eu la pensée efficace, je n’ai pas vu passer les deux dernières minutes ! Tout de même, c’est incroyable comme on ne pense à rien quand on pédale. Rien. Je cherche, non… rien. C’est assez déprimant.
…
Ah ! le facteur est dans la rue d’en face. Je me demande toujours comment font les facteurs anglais pour ne pas avoir froid. Il fait 2°C dehors, et ils sont en short. Enfin, celui qui passe dans la rue en face de la salle de sport. Pour les autres, c’est vrai, je n’en sais rien. Je fais sans doute une généralité. Mais comment le saurais-je ? Je ne vois de facteurs que depuis mon vélo… Encore une fois, mes pensées sont bien creuses. Quelle heure est-il ?
10h09. Ah ! On avance ! Enfin, non, on n’avance pas, c’est le principe de cet appareil de torture. On pédale et on ne bouge pas d’un centimètre. Pourtant la clim’ joue le jeu et me souffle un air froid dans la nuque qui pourrait me donner l’illusion d’avancer. Mais ça ne marche pas. J’ai juste hyper froid dans la nuque, et chaud partout ailleurs. Je me retrouve comme à chaque fois dans ce débat intérieur: dois-je remettre mon sweat ou rester en débardeur ?
10h12. Je m’ennuie. Mon Dieu ce que je m’ennuie. En plus je n’ai pas de veine, tous les vélos avec télé sont pris, j’ai dû me rabattre sur un vélo classique, celui qui compte les calories et le pouls. Je ne sais pas comment d’ailleurs. Comment cette machine peut-elle estimer mon pouls, sans rien de relié à moi? Sur le siège, par les fesses ? Non, je ne vois pas. Pff… je m’ennuie.
10h15. Plus que cinq minutes. Je suis un automate sur une machine. Cette machine fait de moi une machine. Je réfléchis d’ailleurs de moins en moins.
10h16. Ah, non ! Mais qu’est-ce qu’elle fait là celle-là ? J’avais pourtant choisi mon heure! L’heure des mamies et des papis, qui viennent faire leur sport tranquillement! L’heure où j’ai une petite chance de me sentir hyper jeune, hyper mince et hyper sportive sur mon vélo ! Elle a séché les cours ma parole ! Juste pour s’installer sur le vélo à côté de moi, pédaler comme une furie sans suer, sans rougir, sans s’ennuyer, et me faire sentir tout à coup lourde et ridicule, molle… Elle a les cheveux longs, raides, châtains, parfaitement attachés en une queue de cheval. Elle porte un legging coloré, un de ceux que je n’oserais jamais mettre de peur de ressembler à un clown des années 80. Mais elle le porte bien, elle. On dirait l’Américaine des téléfilms de M6. A quelle vitesse va-t-elle ? Quel niveau ? Mince… elle fait du sport, elle. Moi je fais juste du vélo… Bon, ne te laisse pas impressionner. Après tout, elle ne fait que commencer, et toi, ça fait déjà … 18 minutes. Donc bon. Accélère un peu pour te donner de la contenance. Mince, mes cuisses, je commence à les sentir exister et se plaindre d’avoir été réveillées. Ca chauffe, ça chauffe…
10h19 ! J’y suis presque ! Allez ! Vas-y ! Tu seras fière de toi! Pédale ! Pédale ! Tu es Jeannie Longo sur un sprint de fin fin d’étape ! Tu es, tu es… Flash dans Cars 3 ! Tu es… tu es … tu es…
10h20 ! Tu es SPORTIVE ! Oui tu peux le dire ! SPOR-TI-VE !
Je souffle. J’ai chaud finalement. Dehors, rien n’a bougé. Autour de moi, chacun est à son propre combat, silencieux, humble. Je n’ai pas à rougir. (Je dois déjà être bien rouge).
Le tapis de course avec télé intégrée est libéré. Je vais aller marcher un peu, tiens. C’est l’heure de mon programme préféré : des speed-dating dans une cuisine. Ca me permettra de réfléchir à ce que je vais pouvoir manger en rentrant.
très drôle
je me suis revue dans ce type de situation
Les vélos dans les salles de sport…
Merci, tu nous as croqué ça de manière tellement fidèle,
je crois que tu pouvais aussi transposer toutes ces sensations avec le rameur…
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