Ma vie se déroule comme la pellicule d’un film.
Je n’en vois plus le début, chaque jour en est la fin,
Et je me sens complète à chaque instant de ma vie
Car chaque instant ajoute une nouvelle case : la pellicule grandit.
Les images de ma bande sont toutes pleines et colorées et vivantes. Quand par bonheur ma mémoire me transporte au gré du hasard sur l’une des ces images, je peux encore sentir un peu des sentiments qui ont gardé vivants ces précieux temps passés.
Puis tout à coup il meurt. Je ne le voyais plus, mais je le savais là, quelque part sur la bobine, bavard, tendre, maladroit, et tellement gentil. Et c’est comme si soudain l’une des cases s’effaçait.
Case blanche. Il a disparu et emporté avec lui un bout de mon enfance.
Plus là. Disparu. Et la pellicule de ma vie se disloque, s’évapore.
Et je sais que ce n’est qu’un début. Que petit à petit la pellicule s’érode, que le temps me vole des bouts de mon enfance.
Est-ce donc cela vieillir ? Sentir qu’on avance, mais que l’origine disparaît à mesure qu’on déroule le film ? Que les prémisses flottent dans une nébuleuse et que le temps qui frotte la pureté des moments les affaiblit, les rend transparentes comme un linceul, translucides et mouvantes comme une méduse ? Plus rien de solide.
Est-ce donc cela vieillir ? Ne plus sentir la force d’un monde vaste qui nous protège mais se sentir caillou dans une enveloppe de sable ?
Il a disparu. Et mon enfance s’étiole. Et je me sens vieillir.
Tout à coup le temps m’apparaît comme un vent violent qui me glace et me gicle et me pousse en avant.