J’ai vu une ride dans le miroir. Le premier cheveu blanc aurait dû me mettre la puce à l’oreille. Je n’ai plus dix ans – ni vingt, ni trente. Je m’arrête là, le décompte est un peu déprimant.

J’ai regardé plusieurs fois incrédule mon reflet. J’ai plissé les yeux, vérifié. Et puis je l’ai vue. Celle que je n’ai jamais cessé d’aimer. Celle qui marchait d’un pas dynamique et léger, si bronzée, si belle avec ses cheveux noirs et sa bouche si rouge. Celle qui décidait catégorique ce qui est bien et ce qui ne l’est pas. Celle qui passait des heures, debout dans la cuisine, à confectionner les meilleurs petits plats de son pays lointain. De son pays qui grâce à elle est aussi le mien. J’ai vu celle dont les yeux pouvaient être plus menaçants que le ciel le plus noir, celle qui m’impressionnait tant. Celle qui n’a jamais cessé de m’aimer.

J’en ai mis, du temps, à marcher hors de son ombre, à me croire forte moi aussi. Je l’ai toujours tant admirée.

Depuis peu, j’ai les lèvres rouges et j’aime que mes cheveux soient noirs. Depuis peu, je me vois donner la main à mes enfants, les gronder, les chérir, et vieillir un peu. Comme elle.

Cette ride dans le miroir me fait comprendre : aujourd’hui, j’ai l’âge de ma maman.

Je ne l’ai pas vue vieillir. Pour moi, d’ailleurs, elle n’a pas vieilli.

Peu importent les années, peu importent les souvenirs qui s’additionnent dans ma mémoire et les marques du temps que j’observe sur mon corps – ce traitre. Elle n’a pas bougé. Comme la vague s’éloigne et revient, je me rapproche d’elle et lui ressemble de plus en plus.

Aujourd’hui je ne suis pas vieille, je ne suis pas jeune: c’est plus simple que cela. Aujourd’hui j’ai l’âge de ma maman. Je reste sa petite fille, et dans mon cœur elle a mon âge. Je la comprends enfin. Enfin je peux lui dire, vraiment : merci maman.