Parentalité négative

« Il faut éteindre les enfants ! Allez! on dooooort! »

Quinze fois. Quinze fois que je répète ces deux phrases depuis dix minutes. Quinze fois auxquelles il faut ajouter les vingt-deux fois de mon mari qui ajoute à mes cris (lamentations ?) « On se tait maintenant ! ça fait combien de fois qu’on vous le répète ? ».

Rien à faire. Rien à dire. Ils ont pourtant tout eu : le dîner en famille, l’instant dessin, l’histoire du soir, et encore quinze minutes rien qu’à eux pour finir de bouquiner tranquillement. Mais qu’on nous explique : pourquoi, pourquoi, POURQUOI nos enfants ne dorment-ils pas ? Et pourquoi choisissent-ils TOUJOURS le moment du coucher pour être le plus excités ? Je les ai pourtant fait courir au parc, fait tremper dans un bain à bulles colorées, épuisés à jouer … Fallait-il avoir recours au sédatif pour qu’ils soient finalement fatigués ?

Alors, ce soir, c’est décidé, on ruse. Tels des sioux, on éteint tout. On passe bruyamment, à grands coups de tonitruants bâillements, près de leur chambre, et on prétend à tue -tête « Bonne nuit ! Nous on va se coucher ! »

Prudemment, on revient sur nos pas, et on se cache, accroupis, dans le couloir près de leur chambre. Et on les écoute piailler.

On attend, on patiente, tels des renards à la porte d’un poulailler. On les laisse croire à nos deux corps immobiles calinés par Morphée, on les laisse s’imaginer nous avoir si bien bernés qu’ils pourront continuer de jouer jusqu’au milieu de la nuit, vers 21h30. On ne bouge pas, malgré une furieuse envie de se relever (la position accroupie n’est définitivement pas la plus confortable passés les 12 ans). On ne bouge pas d’un cheveu blanc, et si on a envie de rire en se regardant, victimes de l’énergie de nos enfants, on reste mutiques, inébranlables.  C’est une vendetta que l’on fomente.

Pendant ce temps, ils continuent. Bourreaux de nos soirées romantiques, ils parlent et parlent encore. Ils pouffent et se chamaillent. On reste cois, on est tenaces.

Tapis dans l’ombre, on ressemble à deux gros singes qui apprennent à chasser. Si quelqu’un nous voyait, nul doute qu’il nous dénoncerait aux services psychiatriques, et si l’aide à l’enfance la parentalité existait, nos enfants seraient bien ennuyés. Heureusement, ni l’un ni l’autre n’ira se vanter de cet échec cuisant de notre autorité. Et puis quand on est face au mur, au bout du rouleau, on ose tout.

Un regard – le signal.

Tel un fauve forcené, mon mari bondit sur la poignée de la porte, l’ouvre, et je bondis dans la chambre où je clame d’une voix cinglante et caverneuse : « Qui veut dormir sur le toit?  »

Les enfants surpris et effrayés se taisent. A leur tour de ne plus bouger.

Théâtralement, on ressort et referme la porte. On s’arrête, on écoute : rien. On a gagné.

« Demain, on les menace avec le garage? »

Oui, parce que demain, ils vont recommencer.

11 réflexions au sujet de « Parentalité négative »

  1. Et coucou,
    J’adore,
    Que tu écris bien et quel suspens,
    je vous imaginais, toi et ton mari, tapis dans l’ombre,
    et que la chute est osée et magistrale.
    Tu m’as fait éclater de rire, merci!
    Nos filles ne dépareillent pas, et les matins sont suspendus à d’innombrables appels au petit-déjeuner…en doux préambule à l’adolescence.
    La bonne journée

    Aimé par 1 personne

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