Nerveusement, il tire les manches de son pull. Attitude juvénile qui contraste tant avec son âge – il semble avoir 40 ans- qu’avec son style vestimentaire – il semble mâture.
Difficile pour Laura de qualifier l’allure de cet homme. C’est sa cousine qui a organisé la rencontre, le rendez-vous rapide au café du coin avec cet agent du service comptabilité de sa boîte. Laura, qui a des goûts en matière d’homme aussi compliqués qu’une relation mère -fille, et des motivations pour rompre une histoire au bout de deux mois aussi inextricables que les fils électriques derrière son meuble télé, s’est dit qu’après tout, pourquoi pas, un comptable ça rassure, un comptable ça ne dérange pas un quotidien de célibataire presque quarantenaire. Un comptable, ça ne doute pas.
Mais voilà que Laura se retrouve face à un pantin de La Défense à l’attitude de guignol. Elle s’agace.
Lui voit bien qu’il l’énerve, et plus il l’énerve, plus il tire, fébrile, sur les manches de son pull. Elle est tellement belle, il ne voudrait pas tout faire rater. Un rendez-vous avec une belle femme comme ça, mince, non, ça ne se manque pas. S’il n’avait pas été organisé, ce rendez-vous d’ailleurs, il ne l’aurait jamais eu. Un homme comme lui ne fréquente pas une femme comme ça. La pression l’agite, la situation lui échappe, il ne sait plus quoi faire. Laura fuit du regard Patrick qui semble un trou béant au milieu du tableau.
Elle ne le connaît pas. Il veut qu’elle le connaisse. Il doit se révéler, se montrer tel qu’il est et espérer qu’elle ne fuie pas. Voire qu’elle reste… Les banalités qu’ils échangent depuis six minutes sans se regarder feraient mourir d’ennui la grand-mère amatrice de vieux policiers allemands. Impossible d’en rester là. Patrick commence à suer, Laura à taper du bout du pied.
C’est là qu’il lève une manche et pose son avant-bras sur la table du café parisien où ils se sont retrouvés. Tout Paris qui s’agite autour cesse d’exister quand Laura baisse les yeux et découvre le tatouage. Elle s’arrête quelques secondes et observe les yeux ronds le bras du pauvre comptable en apnée. Cela dure des années, comme un ralenti pathétique d’un mauvais film de mauvais auteur, comme le texte d’une blogueuse au talent d’imposteur. Soudain, le visage de la belle se détend, et elle commence à sourire. Patrick respire. Il lève l’autre manche de son pull et dépose les deux bras nus sur la table. Laura éclate d’un rire libre, regarde Patrick dans les yeux puis rit de plus belle. Il pince les lèvres : il n’a jamais entendu un rire comme celui-là, il ne la connaît pas.
– Mais quand est-ce que tu t’es fait tatouer ça ?
– Euh… Il bafouille. J’avais dix-huit ans, tu sais, hum… j’étais ado… Enfin, la jeunesse quoi, tu sais bien comme on n’est pas sérieux quand on a dix-huit ans…
– Oui, enfin… c’est dix-sept ! Et tu étais surtout nul en français ma parole !
– Oui, murmure Patrick avec la même moue qu’il avait quand il montrait son bulletin à ses parents.
– Ca veut dire que tu traines ce truc-là plein de fautes depuis tes dix-huit ans ?
– Oui, je porte souvent des pulls.
– Même en été ? ricane Laura.
– Oui. Le rire de Laura le réchauffe. Il plaisante. De toutes façons je ne sors pas en été, et puis je pars tous les ans en Suède, comme ça je n’ai pas besoin de me déshabiller.
Ils rient. Ils sont ensemble. Laura effleure de ses doigts le message sur le bras de Patrick, lui donne des frissons.
Finalement, ce jour de septembre, quand il avait séché les cours de la rentrée pour aller se faire inscrire ce message de façon indélébile par un tatoueur aussi mauvais que lui en orthographe, finalement, ce jour-là, il avait bien fait. C’est dans ce salon décoré de mangas et faux dragons chinois que sa rencontre avec Laura s’était jouée. Pendant plus de vingt ans il avait vécu honteux de son erreur, il avait recouvert de manches sa fêlure, son identité confuse. Le rire sans chaine de Laura réconcilierait sa personnalité.
Elle se moque tendrement.
– Quand même… « je suis un rebèle… »
– « et les adulte des con. » Oui, je sais…
– Fallait pas être malin pour se faire tatouer ça… T’allais devenir adulte, forcément…
– J’ai juste commencé à être con avant !
– Ah, ah ! Oui, c’est vrai… On est tous devenus un peu plus cons qu’on ne l’était ado finalement. Brel avait raison. Mais travailler au service comptabilité, avec ce tatouage là ? Cela me semble drôle ! Dis-moi, tes collègues ne le savent pas ? Tu n’as tellement pas l’air d’un rebelle !
– Oh, si on ne se fie qu’aux apparences, c’est sûr que non. Mais si je suis encore seul à mon âge, c’est parce que finalement, je n’ai jamais cessé d’être révolté contre moi-même.
– On en est tous là, soupire Laura.
Et… ?! On attend la suite maintenant !! 🙂
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😁 c’est déjà bien pour moi , ahah ! Si un jour je pouvais écrire deux cent pages… mais le chemin est long ! Merci pour ton gentil commentaire en tous cas qui me rassure un peu ! 😌
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Une page par jour 😊 c’est un bon début d’histoire en tout cas
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Oui je suis d’accord on veut savoir l’après!
Comme quoi une « erreur » de jeunesse peut devenir un sacré avantage.
J’aime le jeu entre le paraitre et l’être. Au fond on se fait une idée de gens mais on ne sait pas vraiment qui ils sont.
Bravo!
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J’adooooooore!! Je suis restée scotchée à ton texte!
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Ooh merci !! Surtout de ta part !!!
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Je vais guetter la suite du coup, ça m’intrigue!
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