La petite fleur au bord du champ

Vous êtes-vous jamais arrêtés sur le rebord d’un chemin, d’un champ, pour regarder pousser comme par bravade une petite fleur hors du champ ? Ne vous êtes-vous pas demandé ce qu’elle faisait là, seule, plus fragile et plus forte à la fois ?

Les fleurs sont belles quand elles sont dans le champ. Leur nombre peint l’étendue de rouge ou de jaune, parfois de mille couleurs. On n’en voit pas une, on en voit des milliers, et ce bouquet infini émerveille nos yeux caressés par la beauté de cette nature foisonnante. On imagine un tableau, on se voudrait photographe, et on admire les lumières nouvelles sur cette terre restée si longtemps brune pendant ces mois d’hiver. Les fleurs de printemps réveillent notre âme : chaque fleur compte, aucune ne compte vraiment.

Nous sommes comme ces fleurs, persuadés d’être uniques, oubliant faire partie d’un tout. Quelques peu éloignés les uns des autres en ces temps de confinement, on participe tout de même, chacun à notre place, à ce qu’est notre Terre, aujourd’hui et demain. On fait partie d’un tout.

Je préfère cette image à celle des moutons, plus caustique, plus critique. Tout aussi vraie sans doute, à condition de trouver le mouton beau. Je préfère penser aux fleurs, qui se réveillent un matin nous raconte le Petit Prince, avec cette belle illusion d’être fortes, d’être belles, d’être uniques et immortelles. Et d’ailleurs on bouge bien moins qu’un mouton : certains même ne bougent jamais. Et notre voix ne s’entend pas, c’est le vent qui nous fait chanter.

Comment expliquer la présence de cette fleur au bord du champ ? Comment a-t-elle pu seule pousser là ? Je me demande surtout, quand je la vois sur le chemin, si elle vivra aussi longtemps. Peut-être que son éloignement la rend plus vulnérable ? Et pourtant elle pousse là, la présence des autres ne la protège pas. Ne risque-t-elle pas plus de se faire écraser, arracher ou cueillir par la main d’un enfant ? Vraiment je me demande : cette fleur-là vit-elle mieux que si elle avait poussé dans le champ ? Elle doit être différente, ou bien c’est le hasard, un courant d’air qui a fait voyager la graine juste assez pour qu’elle se retrouve seule sur le ban.

J’ai cet étrange sentiment que le confinement ne m’isole pas des autres mais me conduit plus vite que la vie ne l’aurait fait elle-même à pousser hors du champ. Serais-je cette fleur qu’on ne voit pas d’abord, et qui se remarque un peu plus si on détourne le regard du bouquet incroyable qu’on a devant les yeux ? Plus fragile, sans nul doute, plus résistante, je l’aimerais, mais seule. Avec ma petite famille qui pousse tout près de moi… hors du champ elle aussi.

Je ne suis pas une étrangère. Étrangère dans mon propre pays ? En désaccord, en rupture. Blessée par l’accueil non reçu, heurtée par ce qu’on a dit à mon enfant. Sans colère cependant, avec juste ce sentiment que je suis sur le chemin. Hors du champ.

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