La CNV à la caisse du supermarché

Ce titre sera énigmatique à ceux qui ne connaissent pas la CNV. Non ce n’est pas un nom de drogue, encore moins un code inconnu de votre fiche d’imposition. C’est le médicament du langage, la douceur des échanges : la fameuse communication non violente.

La CNV ne s’improvise pas : elle s’apprend. D’ailleurs, pour commencer, elle se lit. J’ai donc, très impliquée, acheté mon livre des recettes de cette fameuse CNV.

J’ai tant aimé ces sages recettes que je les révèle à table, une à une, à chaque dîner, dans l’espoir assez insensé que ces paroles sur l’art de parler modifieront les séances d’insultes de mes garçons, quand une chaussure finit son vol plané dans un château de cartes, ou qu’un sourire mal placé fait grimper de plusieurs décibels le son de leurs jurons – pour un peu on n’entendrait plus les avions !

La CNV, qu’est-ce que c’est ? C’est une histoire de girafes qui surplombent les chacals, de phrases ouvertes et de mots fenêtres. C’est l’inverse des murs, des petits cœurs autour de nous quand nous échangeons. C’est tout mignon.

À la maison on s’entraîne. Au quotidien imaginez un épisode des Bisounours en pyjama, avec quelques dialogues cocasses dignes d’un spectacle des Inconnus. Les enfants en rient, le mari en sourit, et tous on joue à observer et décrire , exprimer besoins et émotions, et formuler des demandes à tout va au lieu de se dire les choses simplement. C’est un peu long, mais amusant.

Car oui, soyons honnêtes, la CNV, c’est compliqué. Et surtout ça prend du temps. Démonstration.

J’attends sagement masquée à la caisse du supermarché. Bien éloignée des autres gens, j’attends mon tour, patiemment. Je suis calme (je suis CNV). Comme ils sont nombreux devant moi, les gens, une caisse s’ouvre et une hôtesse m’aboie de m’en approcher. Je suis calme (je suis CNV) et je m’y rends en souriant (derrière mon masque, c’est évident). Je salue l’employée et dépose un à un les achats effectués.

A peine ai-je placé sur le tapis fraîchement désinfecté une boîte de mouchoirs et un tube de dentifrice que la candidate au marathon des caisses m’ôte le loisir de tout ranger et balance contre sa machine à bip mes courses, puis les jette une à une de l’autre côté. Les cotons. Les oranges. Les bananes. La boisson.

Je m’active, je m’active, et tente de me dépêcher, mais elle va plus vite que moi. Elle attrape presqu’au vol la boîte de céréales, les champignons et le savon, et empile sans aucune considération pour mon souci d’organisation l’ensemble de mes achats sur le bout de la caisse qui ressemble désormais à la montagne de linge que j’ai à repasser ce soir, au lieu de vous écrire. Mais je reste calme (je suis CNV) et je souffle un bon coup (mes dents serrées bien cachées sous mon masque).

Je déplie mes sacs dans mon caddie, lui montre par mes gestes bien choisis que je placerai les boites avec les boîtes, les fruits avec les fruits. Elle n’en a que faire, elle écrase mes tomates avec une brique de lait. Je ne dis rien, je reste calme (et CNV) mais l’envie de lui dire gronde sous mon masque : « mais grognasse ! Ralentis ! Tu vois pas que de ce côté le tapis est plus petit ! Et que tu ne pourras pas entasser les 5m2 de ta gauche sur le mètre carré de ta droite ? »

Je ne dis rien (je suis CNV) et je commence à réfléchir à comment lui communiquer sans violence tout mon ressentiment.

Je réfléchis -bip les oignons- à ce que j’observe -bip les courgettes- de la situation. Je formule dans ma tête – bip le démaquillant – ce que je ressens comme émotion -bip le concombre – mais hésite entre irrespect et consternation -bip l’encre. Je ne sais pas au fond si ce sont des émotions – bip les citrons – et cherche dans mon dictionnaire intérieur d’autres mots pour décrire cette situation – bip le beurre et les cornichons.

Les bras encombrés le cerveau fonctionne moins. Je passe à l’étape d’après, et formule le besoin qui n’est pas comblé. Le respect – mince le sac des oranges s’est ouvert !- de mon rythme – attention aux fraises ! – et de mon droit de faire mes achats sans pression – punaise elle fait de mes abricots une confiture !

Reste à formuler ma demande pour qu’elle comprenne ce qui me manque et sans qu’elle ne se sente agressée. Comment lui dire qu’elle va trop vite (« trop », c’est juger ?) et que je me sens oppressée, qu’il faut qu’elle ralentisse, sinon je lui envoie ce qui retombe du tapis en plein dans son visage ?

Sa collègue l’interrompt et l’envoie valser à un autre poste. Elle prend le relai et je m’excuse de ne pas aller plus vite. Elle me dit sans ménagement : « mais personne ne vous demande d’aller plus vite ! On n’est pas pressé ! »

Je suis calme, mais je me trouve bête avec ma CNV !

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