Qu’est-ce que tu voudras faire quand tu seras vieille ?

Et si on nous posait plus souvent cette question… Peut-être rendrait-on la vieillesse plus désirable ? Vieillir fait si peur aux appareils photos et aux caméras (cachez-moi cette ride que je ne saurais voir !) que certains acteurs -et politiques- se défigurent à grands coups de botox, et se transforment en poupées de cire inexpressives. Certains font presque peur : ils ont tant voulu conserver la jeunesse qu’ils ont ôté les signes de vie de leur portrait.

Qu’est-ce que tu voudras faire quand tu seras vieille ? Pas ça, j’espère ! Quand je vois ces joues étranges, ces bouches immobiles, je me demande vraiment si moi aussi, un jour, j’aurai si peur de vieillir. Est-ce que moi aussi, je me teindrai la crinière pour ne plus voir un seul cheveu blanc, que je tartinerai mon visage de fond de teint et peinturlurerai exagérément mes paupières pour camoufler les années ? Je l’ignore. Pour l’instant, j’attends tranquillement mes 40 ans, et j’aime le temps qui passe, car je crois encore qu’il est un ami. Un maître même, puisque de lui j’apprends beaucoup.

Vieillir rend rebelle

Le temps m’enseigne à ne plus être sage, à désobéir à mes parents. Le temps m’apprend à faire voler mon image en éclats doux, en rires – à sucer la sève de chaque instant. J’enterre mes préjugés, mes doutes et mes tourments. Je renais chaque matin – la rose rebelle ne fane jamais.

Grâce à l’âge, je pose mes mots, mes pas et mes actions délibérément : je peux me tromper, j’en ai beaucoup moins peur. C’est un risque à prendre, et seuls les haineux ne me pardonneront pas d’avoir été moi.

Il y a des jeunes de moins de 30 ans qui me croient déjà vieille, condescendants ! Ils sauront bientôt que quinze ans, oh… ça passe vite, et que demain, comme moi, ils auront quarante ans. Après tout, ce n’est pas un mal, ils ne le regretteront pas ! Car, quand on se démode, on devient mieux qu’avant.

Vieillir nous rajeunit

En vieillissant, on ne se défait pas de sa jeunesse, ni de ses blessures. On se répare, et on accepte ce qui a fait qui on est devenu. Je suis plus belle qu’avant, parce que j’accueille mon présent sans regrets pour ce qui est passé.

Inutile de déguiser nos souvenirs, d’en vouloir à nos parents, ou de souhaiter oublier ce qui nous a meurtri. Au contraire, le passé est là, chaque jour. Notre enfance reste présente dans notre quotidien, et prend toute sa place. Les clichés de nos meilleurs jeux avec nos amis, nos frères et sœurs, sont ancrés en nous, et ils nous servent de boussole quand la vie nous bouscule. Notre jeunesse quitte notre corps mais s’enchevêtre dans notre identité, à perpétuité.

Les rides ne sont qu’un masque, une délicate carapace pour camoufler notre infinie incertitude. Les crèmes servent de philosophie au corps. Au fond on est toujours un enfant. La fillette que je suis restée, je la cajole, je la console. Je deviens sa meilleure mère, je la laisse grandir en moi. Vieillir, c’est aussi cela : écouter plus sa petite voix.

Avec le temps, et grâce à lui, je comprends donc qu’il faut lâcher, abandonner les petits principes, les grands enjeux. Le temps de toutes façons gagnera la partie. Autant alors en profiter, peindre, écrire, dessiner. Lutter contre le temps c’est faire de sa vie une tragédie. Et c’est de rires dont j’ai envie !

Vieillir rend heureux

Heureusement que le temps passe, et qu’il éteint les douleurs qui brûlent et qui étouffent ! Vive la vieillesse qui panse les meurtrissures, cicatrise les déceptions. Alors le temps avance plus vite qu’on ne marche, c’est vrai, il nous coupe le souffle… mais il nous apprend aussi à respirer mieux.

C’est un peu comme si les bougies qui s’ajoutent sur le gâteau d’anniversaire symbolisaient le feu qui croît en nous. La petite flamme se multiplie, comme une envie de vivre mieux. Il reste de la place sur le gâteau : j’ai encore le temps de désirer.

Je voudrais qu’avec l’âge, la sagesse dore mon autobiographie. Je connais des « vieux » formidables qui savourent plus intensément qu’un jeune les secondes d’éternité. (Je voudrais être vieille comme cela, réjouie et réjouissante.) Le temps qui passe m’apprend à désirer mon présent, et ça me rend heureuse.

Avec le temps et l’expérience, je découvre que mes mots modestes allongent l’instant et distillent mon bonheur. Je crois qu’on vieillit mieux quand on écrit. (Je voudrais écrire plus quand je serai vieille.)

Ce que je voudrais faire quand je serai vieille

Il est tôt, je n’ai pas encore décidé de mon orientation. Je verrai comme je progresse, mes points forts, mes points faibles, et j’essaierai de faire au mieux. Mais je sais, au fond de moi, ce que je ne voudrai pas.

Vieille, je voudrais m’aimer, avec mes rides du sourire, mes rides d’étonnement, mes rides de joie ; avec mes bourrelets de souvenirs, et les vacances conservées dans chaque tâche de soleil sur ma peau littéraire. Je voudrais marcher beaucoup, et savourer la vue des anémones des bois comme une enfant de 8 ans. Je voudrais, quand j’aurai plus de temps pour moi, en donner plus aux autres. Je voudrais discuter pendant des heures avec mes amies, et puis aller les voir, voyager, découvrir plus de lieux et déguster plus de pâtisseries. Je voudrais lire davantage, et relire les ouvrages que je n’ai pas si bien compris quand j’avais vingt ans. Je n’ai pas hâte, mais je suis sûre que ce sera bien.

C’est une chance de pouvoir vieillir. J’espère vieillir très longtemps ! Bien sûr, j’écris ce texte quand j’ai à peine de rides, à peine vécu, et j’entends les plus âgés me dire que je suis bien trop jeune pour avoir compris ce que vieillir veut dire. Pourtant, la pensée de la fin nourrit mon présent, et l’unique vérité m’aiguille quand je suis un peu perdue. Alors je barbouille ce texte comme un premier testament, que je relirai plus tard ; et je m’invite à craindre plus la peur de vieillir que le vieillissement.

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