Il n’y a rien de gratuit sur Internet. À part quelques bulles de savon comme ce blog, sincères, fragiles, transparentes, invisibles de ces fichus algorithmes (et après tout, on s’en moque), tout, tout, tout est fait pour nous faire acheter. Un truc, n’importe quoi. Un bout de plastique en carton, une formation sur « comment se lever le matin et se coucher le soir », un abonnement au magazine « Les chevreuils de la forêt du village de Mamie »… Derrière la moindre publication, la moindre image ou vidéo sur nos chers réseaux se cache un besoin, qu’on nous invente, qu’on modèle et dont on vous convainc. Avant d’aller sur Internet, vous étiez bien. Juste après, vous manquez de quelque chose. Alors moi, aujourd’hui, je propose du vrai gratuit. C’est cadeau, servez-vous. C’est Noël après tout.
Offre spéciale ! Voici des mots !
Les mots sont un trésor qu’on possède tous. C’est parce qu’il n’y a rien de plus banal, de plus commun qu’un mot, que j’aime écrire, et que j’aime lire. Si j’avais le talent d’un Racine, je vous écrirais même en vers, pour le simple plaisir de travailler les mots comme un sculpteur travaille son marbre, et le peintre ses tubes de couleurs. Oh, et puis, pourquoi pas ?
Je vous offre des mots, des mots gratuits, cadeaux
Qui ne me vaudront ni richesse ni renom
Et si la poésie peut soulager nos maux
Alors je vous en prie, ensemble poétisons !
Poème imaginaire, vers 1 à 4
Bim ! Rimes croisées et alexandrins, sortis de mon chapeau. Je me félicite moi-même : sur le web, cet effort, ça ne vaut pas un clou.
Pour qui aime les lettres, c’est plus que rageant de voir que le langage n’est exploité que pour sa fonction commerciale (pardon Jakobson). On choisit des mots pour vendre, pour nourrir l’envie frivole, pour pousser à l’achat – des mots parfois même fabriqués pour promouvoir des marchandises illusoires. Il faut les BONS mots, des mots FORTS, des mots, attention … copywrités (si, si, je vous jure. Et Du Bellay de se retourner dans sa tombe). L’écrit n’a plus à être estimable : on lui demande seulement de créer de la valeur.
Plus que quelques heures pour en profiter !
Bientôt, ce que j’aurai écrit aura disparu. Vanité de la production numérique. Après qu’une poignée de personnes aura généreusement consacré un peu de son temps pour lire mon article (et je remercie au passage celles et ceux qui le font à chaque fois, car je sais que certains amis de ce blog apprécient mes ébauches tapuscrites : MERCI !), mon texte partira aux oubliettes, stocké sur Internet.
Mince, je devrais peut-être vendre mes textes en NFT ? En fait, je n’ai rien compris ! L’art doit se mo-né-ti-ser Émilie ! Toute production créative doit se transformer en produit, en must-have ! Finie l’époque où l’écrivain vivait sans sou mais avec gloire. De tous temps, il a cherché un moyen pour survivre, griffonnant parfois au kilomètre tel un Zola endetté. Littérature n’a jamais rimé avec finances. SEO, newsletter, si.
Dans ce marché des mots numériques qui tient plus de la technique que de l’esthétique, il y a tant de textes à lire ! Je ne suis qu’une poussière. Pour séduire plus de lecteurs, je devrais peut-être appliquer les méthodes racoleuses des newsletters ? Je pourrais vous faire PEUR ! J’imagine déjà les titres de mes prochains articles :
- Plus que quelques minutes !
- Après, il sera trop tard !
- Encore quelques jours pour profiter de mon offre !
- Lisez-moi avant que je ne disparaisse !
La belle affaire…
Décidément non, je n’ai rien compris. Moi, j’écris pour écrire, un peu aussi pour être lue. Si je veux bien vous plaire, je me veux surtout pas m’imposer. Je partage et vous prenez, ou vous ne prenez pas. C’est un jeu. Il doit rester gratuit pour continuer de m’amuser.
Des textes à tout prix
Quand j’étais petite, il y avait, je me souviens, des vendeurs et des marchands de tapis qui sonnaient et se tenaient sur le seuil, promettant à ma mère, qui avait dû s’interrompre dans la préparation du repas, une super offre, une fantastique affaire – ou un abonnement à vie à des encyclopédies. (Vous les avez eues, vous, ces encyclopédies en plusieurs volumes, petit format, rouges et ceintes de doré ?) Finalement, je me dis que les temps n’ont pas tellement changé. Le principe reste le même, on est toujours dérangé. Il y a simplement, désormais, une foule qui se presse derrière notre petit écran. Dès qu’on allume notre téléphone, on ouvre la porte à tous ces camelots 2.0.
Ainsi, chaque jour je reçois des messages que je n’ai pas voulus. Des offres spéciales qui ne m’intéressent pas du tout. Quand j’allume mon ordinateur, au quotidien, je découvre qu’à la première heure (quand je dormais encore), un « ami » m’a écrit pour me vendre quelque chose. Moins 10 % bien sûr, et jusqu’à demain seulement – c’est ainsi qu’on justifie l’urgence de m’écrire de bon matin.
Quelle est la place de l’art sur Internet ?
Amoureuse des lettres, je me sens heurtée par cette avalanche d’écrits. Ce n’est pas ma conception du langage. Je crois encore à l’Art pour l’Art, à la magie de mots. Je crois encore à la passion sincère des artistes qui créent pour surprendre, pas pour vendre. Je crois à tous ces écrivains du dimanche que nous sommes sur WordPress, et qui prennent le temps de lire vraiment ce que chacun publie.
Je ne prétends pas être une artiste. J’ai trop de respect pour l’Art. Sur ce blog, je poursuis simplement la joie de faire des rédactions. L’écrit sur Internet est mercantile, je dois me faire une raison. J’accepte alors de rester hors-jeu : c’est mon gage de sincérité. Je paie même pour vous écrire, c’est dire si je fais les choses à l’envers !
L’Art pour l’Art n’a pas sa place sur Internet. Heureusement, le monde des blogueurs est un marché d’artisanat, en retrait, à l’abri des algorithmes, où on se montre, sans faire de commerce. J’aime y flâner et découvrir au détour d’un clic un autre jongleur du langage qui lui aussi fait son show. J’applaudis, je félicite. J’ai mes artisans favoris, des personnes si talentueuses que je ne manque pas une syllabe de leurs récits, de leurs confidences. L’univers du blogging littéraire est un répit, une parenthèse douce qu’embellit la présence des modestes. Aux ambitieux de chanter à tue-tête la chanson…
J’aurais voulu être un artiste
Et aligner plein de zéros
Mais faut être un capitaliste
Et avoir un sacré ego… la la la
Tous droits réservés. Si vous voulez chanter, il faut me payer.
Allez, j’ai presque fini, et comme promis, vous ne me devez rien. Vous allez pouvoir éteindre votre portable, et aller dire deux mots à la personne qui se trouve dans la même pièce que vous. Ou en lire dans un livre, en écrire sur un carnet… Le langage du corps, ça peut marcher aussi : un câlin à vos enfants, une caresse à votre chien… Bref, faire quelque chose de gratuit, qui fait du bien, qui ne coûte rien mais vous apporte beaucoup.
Et si mes mots vous ont fait plu, écrivez-moi un petit cadeau en commentaire ! (les alexandrins, c’est pas obligé. Mais enfin, si vous y tenez…)
Un joli article qui traduit bien les maux de notre époque.
Je suis toujours partante pour ces mots gratuits comme des bisous tous doux qui me rappellent que le monde de la poésie existe encore, que l’Art peut s’offrir sans cirage de pompes et référencement.
Un peu comme l’histoire de la goutte d’eau et de l’océan…
MERCI
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